Un comportement passif-agressif est aussi une forme d’abus
« Devine pourquoi je suis en colère contre toi ! » – un comportement passif-agressif est aussi une forme d’abus
Vampire énergétique – c’est le terme le plus connu pour désigner une personne présentant une agressivité cachée, dont le comportement énergivore provoque souffrance et, à terme, colère et nervosité chez les autres. L’expression « passif-agressif » est désormais entrée dans le langage courant, mais il reste encore difficile de la saisir et de la mettre en mots. En observant les schémas comportementaux, le tableau devient beaucoup plus clair : si nous parvenons à formuler notre problème, nous nous rapprochons déjà de la solution.
La question principale est la suivante : comment réagir face à un parent ou un collègue passif-agressif afin de soulager la tension causée par la colère et la frustration ? Comment surmonter la culpabilité qui nous habite si nous avons l’impression qu’en exprimant notre colère et notre mécontentement, nous « écrasons » la personne passive-agressive ?
Ce piège existe car les personnes passives-agressives sont elles-mêmes prisonnières de ce phénomène : elles se vivent comme des victimes et en subissent aussi les conséquences. Il est donc bénéfique pour elles également de sortir de ce cercle vicieux.
Critique, taquine, mais victime
Klára, malgré tous ses efforts, ne s’entend pas avec sa belle-sœur Léna, pourtant souriante, agréable et appréciée de tous. Mais Klára est agacée par ses retards constants et ses promesses oubliées. Léna gâche une fête surprise en laissant échapper un indice, puis s’excuse en disant qu’elle ne l’a pas fait exprès. La situation dégénère régulièrement, mais bien sûr, « ce n’est jamais de sa faute ». Klára se met en colère car elle estime que Léna ne prend pas ses responsabilités, gâche le plaisir des autres et les met souvent dans l’embarras. À cela s’ajoutent ses compliments ambigus : « Tiens, tu n’as pas acheté une grosse voiture ? Elle t’irait bien, vous êtes une famille vraiment géniale ! »
Les personnes passives-agressives, comme Léna dans cet exemple, ont peur de reconnaître et d’admettre leurs propres sentiments négatifs. La plupart du temps, elles refoulent ces émotions et les répriment, surtout envers les personnes dont elles dépendent ou dont elles recherchent l’affection. Ces sentiments enfouis peuvent prendre la forme de colère, d’insatisfaction, de ressentiment persistant, d’envie, voire de haine. Certains les ressentent clairement mais ont appris dès l’enfance qu’il était interdit de les exprimer. D’autres, au contraire, n’ont même pas conscience de leurs émotions négatives : ils refoulent leurs pulsions agressives dans l’inconscient et croient sincèrement que leurs comportements sont guidés par de bonnes intentions.
Par exemple, derrière leurs critiques peut se cacher une intention qu’ils jugent bienveillante ; leurs piques sont pour eux une forme de plaisanterie, source d’espièglerie et de libération. Pourtant, il n’y a aucune véritable empathie : ils ne remarquent pas que l’autre ne rit pas avec eux, mais souffre intérieurement de douleur ou de gêne.
Certains sont incapables d’empathie envers autrui, trop emportés par un tourbillon émotionnel, et se vivent toujours comme des victimes. Ce qui frappe dans tout cela, c’est la répétition constante, le caractère récurrent : ils se sentent victimes partout, en famille, au travail, entre amis, mais aussi dans les situations les plus banales, comme au magasin.
Ce type de personne supporte difficilement, voire n’accepte pas du tout, que son entourage lui fasse remarquer que son comportement est blessant. Dans notre exemple, Léna a l’impression que tout ce qu’elle fait est accidentel. Pourtant, son entourage s’attend déjà à ses « maladresses » : qu’elle gâche la joie des autres par ses retards, ses oublis ou même ses petites fautes d’orthographe.
Il arrive aussi que ces comportements soient perçus comme motivés par l’envie ou par une forme de compétition destructrice. En détruisant, consciemment ou non, le succès de l’autre, ils évitent d’avoir à souffrir de leur propre sentiment d’échec. Cette destruction reste une agression, même si la personne passive-agressive n’a pas conscience de ses véritables émotions ni des motivations de son comportement.
Comportements passifs-agressifs typiques
Le repli offensif
Une façon courante d’exprimer son ressentiment est de garder le silence. Les personnalités passives-agressives ne sont pas toutes offensives, mais lorsqu’elles le sont, elles utilisent souvent ce moyen. Elles peuvent se sentir blessées même au cours d’une conversation apparemment agréable : soit parce qu’elles n’ont pas réussi à s’exprimer, soit parce qu’elles estiment que l’autre ne leur a pas accordé assez d’attention.
Leur colère blessée peut se manifester par une expression fermée, un repli sur soi ou un silence pesant. Le message implicite est clair :
« Devine pourquoi je suis en colère contre toi ! »
ou encore : « Ce que tu as dit m’a blessé, alors je veux que tu ressentes la même douleur. C’est pourquoi je fais comme si tu n’existais pas, que tu n’étais plus important. »
Elles punissent l’autre en retirant leur attention ou leur affection, ce qui peut prendre la forme d’une moue théâtrale ou d’un retrait intangible, souvent inconscient même pour elles. Si on leur demande si elles sont en colère, elles peuvent répondre avec surprise : « Non, j’ai juste disparu parce que j’étais occupée. »
Ce comportement suscite chez l’autre de la colère ou la peur du rejet, tout en empêchant toute discussion et toute résolution du problème sous-jacent.
Le saboteur
Il arrive qu’une personne bloque inconsciemment ce qu’elle ne souhaite pas accomplir, en se réfugiant dans la passivité. Elle peut par exemple « prouver » son incompétence et ainsi se libérer de la tâche : faire la lessive mais mélanger le blanc et le noir pour obtenir du gris sale, par « accident » ou par « ignorance ».
Il est également fréquent de repousser une décision au dernier moment, afin que les choses finissent par se dérouler comme elle le souhaite. En arrière-plan, on retrouve souvent un problème lié à l’autorité : une rébellion indirecte contre l’obligation d’obéir, même lorsqu’il s’agit d’un accord commun. L’autre, en s’attendant simplement à ce qui avait été convenu, peut alors devenir malgré lui la figure d’autorité dont la personne passive-agressive a souffert dans son enfance.
La procrastination et les plaintes sont aussi des formes typiques d’opposition cachée, que ce soit face à une tâche ou face à une personne. La personne passive-agressive finit par faire ce qu’elle a à faire, mais trop tard ou de manière maladroite. Elle « n’entend pas », « ne remarque pas », « oublie » — autant de façons de résister.
Cette opposition est le plus souvent inconsciente, et la personne a alors l’impression de saboter involontairement les choses. De ce fait, elle n’est souvent pas tenue responsable, ce qui provoque la colère de son entourage. Identifier ces schémas répétitifs et leurs conséquences devient alors essentiel.
Le plaignant
Les personnes passives-agressives expriment souvent, dans leur voix, des émotions qui témoignent d’une blessure. Leur ton traînant et plaintif envoie le message suivant : « Tu me fais du mal, donc tu es l’agresseur. » Par leur voix, elles renvoient une image négative de nous, alors que nous avons le sentiment de ne pas les avoir blessées. Nous luttons contre cette image d’agresseur projetée sur nous, nous devenons nerveux, en colère, et finissons par les percevoir non plus comme des victimes, mais comme des martyrs.
Il arrive souvent qu’au bout d’un moment, cette voix plaintive « fasse sauter les plombs », et que la projection se réalise : nous les blessons réellement, ce qui entraîne un sentiment de culpabilité. Le cercle vicieux se referme : la personne passive-agressive renforce sa conviction, et, au final, les deux parties repartent avec un profond ressentiment.
Le professionnel de la culpabilisation
L’une des armes les plus puissantes est la culpabilisation. Elle survient souvent lorsque, après une série de plaintes, de sabotages ou de blocages, l’autre finit par craquer et dire quelque chose de blessant.
Par exemple, une mère passive-agressive peut pousser son enfant à réagir violemment à ses tourments :
« J’en ai marre de tes plaintes incessantes, je vais t’aider maintenant, mais rien ne te convient jamais ! »
En voyant qu’il a brisé sa mère par ses paroles, l’enfant se sent coupable et se retient la fois suivante. Mais il souffre alors de la colère réprimée en lui, ce qui n’est pas une issue heureuse non plus.
La taquinerie
L’ambiguïté peut servir de refuge, tout en permettant de laisser passer quelque chose. Pour une personne passive-agressive, c’est un bon moyen d’exprimer ses émotions négatives jusque-là refoulées. Avec des compliments ambigus, on peut à la fois féliciter et dévaloriser quelqu’un.
La personne qui reçoit ces « compliments » perçoit bien le message négatif, mais ne peut pas vraiment le reprocher.
« Oh, ce maquillage est vraiment voyant, tu sors quelque part ? »
Certains justifient aussi leurs remarques humiliantes en disant :
« Je plaisantais, tu n’as pas d’humour ? »
Dans ce type de situation, il est important de poser une limite claire : au-delà d’un certain point, ces taquineries deviennent trop fréquentes et blessantes.
Pourquoi devient-on passif-agressif ?
Un déclencheur fréquent survient lorsque les parents ou d’autres figures importantes empêchent l’expression ouverte des sentiments négatifs, de la colère ou de la mauvaise humeur durant l’enfance. Si ce comportement est la norme familiale, ce modèle se renforce, surtout lorsque l’expression des émotions négatives est punie : « Si tu te comportes comme ça, je ne t’aime pas. »
C’est un choc tout aussi fort lorsqu’on dit à un enfant : « Tu ne m’aimes probablement pas, sinon tu ne serais pas comme ça avec moi. » Lorsque l’enfant applique ensuite ce modèle à ses amis — par exemple : « Je ne serai plus ton ami si tu joues avec d’autres personnes » — il ne voit aucun problème. On ne lui propose alors aucune autre manière de gérer ses difficultés intérieures ou sa jalousie, si ce n’est par le chantage affectif.
Une autre origine possible du développement d’une personnalité passive-agressive est de grandir dans une famille abusive et violente, où il faut être constamment sur ses gardes, apprendre à dissimuler sa volonté, ses besoins et ses sentiments, et ne les exprimer qu’indirectement. Cette adaptation devient une stratégie de survie psychique. L’affirmation de ses besoins ou la résistance à l’obéissance ne peuvent alors s’exprimer que par des détours : maladresse, procrastination, oubli, ou encore l’« accident » qui fait échouer quelque chose de désagréable ou non désiré.
L’absence de possibilité de conflit ouvert avec les parents, figures d’autorité, conduit souvent à des formes détournées de rébellion. Cela peut se traduire par un abandon des études, mais aussi par une rébellion autodestructrice, comme le choix répété de partenaires alcooliques ou chaotiques.
Outre l’impact de l’environnement, la constitution psychologique et la sensibilité individuelle jouent également un rôle. Face au même adulte ou au même enseignant, un enfant peut être terrifié, tandis qu’un autre l’est beaucoup moins. Ce dernier ose davantage exprimer ses sentiments négatifs, tandis que l’enfant anxieux les réprime, même s’il constate que « rien de grave » ne se passe en réalité.
En comprenant les causes du comportement passif-agressif, ce qui semblait agaçant ou incompréhensible devient plus intelligible. Une piste de solution consiste à changer de perspective et à les encourager à en faire de même.
Comment gérer un comportement passif-agressif ?
Les proches de personnes passives-agressives souffrent souvent de ne pas savoir comment gérer la tension accumulée, sans pour autant passer pour des agresseurs. Lorsqu’ils laissent régulièrement éclater leur colère, ils risquent de devenir brusques ou impolis, ce qui s’accompagne fréquemment d’un sentiment d’impuissance et de honte.
L’absence de réaction peut constituer une solution temporaire, mais elle comporte un risque : la colère ravalée continue de s’infiltrer et peut se transformer en troubles psychosomatiques. Dans les cas les plus graves, le proche de la personne passive-agressive tente de rendre supportable cette tension chronique avec des sédatifs ou de l’alcool. Une autre issue fréquente est la « propagation » : la colère née dans une relation se déplace vers un autre contexte, par exemple de la partenaire vers l’enfant.
Pour avancer, il est utile d’examiner et de formuler précisément ce qui pose problème. Mieux vaut éviter de céder à la colère ou au jugement moral : restons aussi objectifs que possible. On peut par exemple aborder directement le comportement perturbant : expliquer qu’il est difficile de supporter des retards systématiques ou un repli silencieux de plusieurs heures à la moindre blessure ressentie.
Il peut être aidant de donner un retour lorsqu’on n’arrive pas à discuter d’un conflit parce que l’autre se met immédiatement à pleurer, ou encore d’inviter la personne à observer le lien entre ses comportements et les réactions de son entourage. En changeant certaines attitudes, elle pourrait constater que ses proches ne la traitent pas constamment avec colère ou hostilité « sans raison ».
Il est également utile de faire un retour lorsque la cause émotionnelle derrière un comportement passif-agressif est manifeste. Partager ses observations et ses réflexions est toujours bénéfique, même si l’on ne doit pas s’attendre à une prise de conscience immédiate ni à un aveu clair. Parfois, un mot ou une remarque semera une graine qui, plus tard, favorisera un changement. La patience, l’écoute et le soutien jouent alors un rôle essentiel.
Le changement n’est possible que si la personne est motivée. Il est important de comprendre qu’accepter et exprimer directement ses sentiments négatifs ne signifie pas « inverser les rôles » ou se défouler dans des explosions de colère qualifiées à tort de sincérité. Ressentir et accepter sa colère est nécessaire pour apprendre à réguler ses émotions et son tempérament. L’enjeu est de les exprimer pleinement, mais de manière adaptée à la situation.
Pour l’entourage, il est étonnamment apaisant lorsqu’une personne jusque-là passive-agressive se met à dire ouvertement ce qu’elle n’aime pas. Ce que l’on sait et peut exprimer clairement est toujours plus supportable que ce qui reste enfoui et nous ronge en silence.
Sofia Horvath
Auteur : Ágnes Szajcz